RUKH – L’esprit du nouveau monde arabe – été 2013
n°4 – AMOUR
Introduction Par Perrine Lachenal
Ceci n’est pas une bande-dessinée sur le harcèlement sexuel en Egypte. Les apparences sont trompeuses. On y aurait cru pourtant. Mais non. Le thème serait bien trop large, la réflexion trop générale. Et le problème avec les généralités, même si elles sont rassurantes certes, c’est qu’elles parasitent le raisonnement et empêchent de réfléchir – « vêtements trop amples de la pensée » d’après le mot de Paul Veyne.
Le harcèlement sexuel en Egypte est un de ces objets glissants face auquel la tentation est grande de généraliser. Ceci est visible dans la plupart des articles de presse portant sur le sujet et qui, mécaniquement, énoncent les causes, déplorent les conséquences, désignent victimes et coupables en les essentialisant derrière les mots « femmes » et « hommes ». Notre récit contourne le risque de ces formulations consensuelles en restant amarré au terrain – espace restreint, pratique particulière – et fidèle aux personnes rencontrées, à leurs gestes et à leurs paroles. C’est un contournement par le bas si l’on peut dire. L’approche ethnographique a ceci de précieux qu’elle ne prétend pas à autre chose qu’à décrire. Tenir un carnet de terrain. Dans un premier temps du moins. On pourrait plus tard penser le harcèlement sexuel par le haut, en le contextualisant au prisme de l’histoire politique de l’Egypte, ou encore en y intégrant une réflexion sur les rapports de classe dans la ville du Caire. Le sujet engage en réalité des représentations de l’ordre, du pouvoir, du genre et de la violence qui se trouvent au cÅ“ur des dynamiques qui traversent aujourd’hui la société égyptienne révolutionnaire.
Ceci n’est pas une bande-dessinée sur le harcèlement sexuel en Egypte. Mais c’est vrai qu’elle en parle aussi, ou plutôt que les personnes que nous avons croisées en parlent. Ecrire et dessiner. Donner à voir, à entendre et à penser une pratique singulière des corps que l’on nomme « self-défense féminine ». Seulement cela.
Perrine Lachenal est diplômée en Sciences-Politiques et de l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales. Docteure en anthropologie à l’université d’Aix-Marseille, ses travaux portent sur l’Egypte contemporaine à travers l’ethnographie de cours de self-défense pour femmes au Caire.